

Philippe Blondin, Président du Musée juif de Bruxelles, à la tête d'une équipe de seize membres dévoués et passionnés, nous a encore gâté de son sens tout particulier d'acuité. Mr Blondin ne sait pas seulement parler et recevoir avec son charme tout particulier, il sait aussi opérer des choix aussi judicieux que pertinents.
Mme Alhadeff, Directrice du Musée, recevait une autre doctorante*, Emmanuelle Polack, afin de nous présenter la publication de sa thèse Le marché de l'Art sous l'Occupation éditée voilà maintenant près de dix ans et couronnée aujourd'hui d'une exposition au Mémorial de la Shoah de Paris laquelle se clôturera le 3 novembre.
Emmanuelle Polack souscrit à une dynamique bien plus large insufflée depuis seulement le début des années nonante. Il eut fallu depuis la libération se fourvoyer dans une certaine duplicité afin de reconstituer les avoirs disséminés de victimes de la shoah constituant trop souvent la chasse gardée de vastes collections dans l'intention de leur rendre leur dignité. Si toutes ne sont plus restituables, ces oeuvres méritent leur recensement grâce à une étude mnémotechnique. Tout en admettant avec force humilité que l'estampillage onomastique (dans lequel s'investit le Musée) constitue un champ mémoriel de première nécessité, le dénombrement de ces objets participe lui aussi d'une véritable anamnèse historique.
La principale source du livre provient de l'Hôtel des ventes Drouot. Trouvant portes closes en 1940, sa réouverture occasionne une vaste spéculation idéologique s'échelonnant sur plusieurs phases couverte par la presse locale : un marché de l'art florissant s'annonce, les affaires doivent reprendre, les beaux jours reviennent. Par oeuvres, il ne faut pas seulement compter les collections de Goering adepte des toiles de Cranach, ni même entendre néo-classicisme pictural mais s'imaginer la collecte de pièces d'exception parmi lesquelles une sélection de tableaux en adéquation avec leur valeur monétaire, soit une capitalisation de minimum cent-mille anciens francs.
Emmanuelle Polack procède à la numérisation de catalogues de ventes recensant, parmi des millions d'objets : fourrures, grands crus, bijoux, argenterie, faïences, mais aussi ouvrages d'artisanat, et bien entendu oeuvres d'art.
La première phase du stratagème compte dès 1940 une première année de pillages. L'occupant fait perquisitionner les galeries de la place Vendôme. Elle sera suivie d'une loi spéciale proposant aux collectionneurs et détenteurs de bénéficier de la promulgation d'une loi accréditant leur arianisation (2). Loi, bien entendu, permettant une meilleure cartographie non seulement des oeuvres territoriales mais dans le même temps destinée à servir les desseins de Vichy. Ce second degré franchi dans la déclaration des possessions patrimoniales, les propriétaires juifs se verront refuser l'accès aux salles de ventes. Ensuite, le vernis craquelé sous l'effet de la guerre, le légataire déparié vend afin de fuir, jusqu'aux apocryphes.
Le dernier pallier de l'horreur dans l'accomplissement de la propagande épuratoire consiste en la confiscation des dernières richesses matérielles des ayants droit et de la monstration de cette trésorerie.
L'ouvrage se construit sur le postulat mnésique : spoliation des oeuvres, participant à la stygmatisation, déculturation par la loi d'arianisation, confiscations, enfin déportation et tout ce qui en a été révélé depuis.
Le marché de l'Art sous l'Occupation se poursuit après-guerre, là où le travail commence véritablement tout en se faisant attendre. Aujourd'hui encore, il ne semble pas aisé de traiter avec certains conservateurs de musées au-delà des frontières de l'Europe réunifiée.
L'auteure participe véritablement à un champ de recherches dont l'émulsion voit le jour, outre à travers le film de Stéphane Bentura, de trois ouvrages cardinaux de Lynn H. Nicholas, de Laurence Bertrand Dorléac et d'HECTOR FELICIANO.
La soirée touchant à sa fin, la ferveur ne s'est pas fait attendre pour s'animer au réveil de consciences devant la problématique occasionnée à Bruxelles durant l'occupation. Collectionneur, journaliste, des rencontres émulatrices qui prolongent un défrichage nettement perceptible sur le site d'Emmanuelle Polack.
(1) Thèse intitulée : "A Precarious Life. East European Female Jewish Students in Interwar Belgium" 2011
(2) J'écrirai ce néologisme avec un i plutôt qu'un y afin d'en différencier la valeur historique et cultuelle du mot.
Bibliographie :
- Lynn H. Nicholas : Le pillage de l'Europe: les oeuvres d'art volées par les nazis (1995, Seuil)
- Laurence Bertrand Dorléac : L'Art de la défaite (2010, Seuil)
- Hector Feliciano : Le musée disparu. Enquête sur le pillage d'œuvres d'art en France par les nazis
(2009, Folio poche 2012)