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Le Conte

des trois oranges

Le conte des trois oranges est un des récits les plus populaires de la Méditerranée et de l’Orient, entre le Portugal et la Perse. L’histoire relate les aventures d’un prince qui, découvrant trois fruits merveilleux (variant selon les régions), décide de marier l’émanation du dernier. Négligeant sa fiancée - livrée à elle-même, elle doit veiller à sa propre garde-robe, à ses déplacements et à sa suite - apparaît une esclave particulièrement laide dont la peau est assombrie laquelle évide l’eau du lieu. Confondant le reflet de la fiancée avec le sien, elle écorche son visage. Reconnaissant la nymphe juchée au sommet d’un arbre, elle en épouse les traits afin de duper le prince. Elle la pique à la tête d’une aiguille et la métamorphose en colombe ou tente de la noyer l’observant emprunter différentes transformations. Le chemin est alors laissé libre afin d’obliger son mari à épouser l’imposture.

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Ce conte n’a été répertorié par l’école finnoise qu’à partir de 1928 sous la nomenclature 408. Ceux-ci ne constituant pas une assise théorique suffisante, on a admis que les pays où poussent citronniers et orangers offraient un gage de crédit supplémentaire. Au contraire, à la fin des années cinquante, Anderson rassemble les récits où est fait mention d’une nymphe quémandant de l’eau (Espagne, Catalogne, France, Italie, Croatie, Slovénie). Le fait que dans certaines versions les deux premières éclosions disparaissent alors qu’ailleurs elles meurent attesterait également d’une foi en une preuve de réalisme originel. On a aussi voulu comptabiliser les régions où, comme en Grèce, était reconnue la transmigration de l’âme. 
L’Italie a donné lieu à une tradition littéraire depuis Naples et Florence autour de Giambattista Basile (Pentamerone, 1636) et de Lorenzo Lippi (Malmantile racquistato, 1676). La commedia dell’arte n’attendra pas son reste avec Carlo Gozzi (L’amore delle tre melarance) lequel donna lieu à un livret de Prokofiev (L’amour des trois oranges, 1921) pour lequel je rends l’étrive. 

Il fallut attendre le début du XXe siècle pour voir naître des études plus conséquentes où furent dénombrés parmi un recensement de deux cents versions les noms de cinquante-deux auteurs où figuraient trente-sept femmes. Rien que pour l’Espagne, la Catalogne et l’Amérique latine, sur dix-huit témoignages seulement un cinquième d'entre eux contenait des signatures d'hommes. 

 

La nudité de la princesse dont les cheveux venaient rehausser son élégance contrastante fit également l'enjeu d'une discussion. La beauté entendue comme pureté, l’épouse préserve son existence en obtenant de l’eau, source de vitalité et de lustration. 


Sociétalement, l’interprétation offre deux modèles : un amour aulique ou un tableau rural dont la naissance d’un enfant engage irréversiblement leur union. 


Selon une version plus chrétienne, sa beauté virginale transparaît à travers la naissance immaculée dans un fruit parturiente. 

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Le conte laisse apparaître un détail plus troublant, suffisamment singulier et à vrai dire inhabituel dans la nomenclature que pour permettre d'en dresser un ultime curseur historique : l’horrible captive au teint sombre se révèle être ‘une esclave noire ignorante’ en Espagne, au Portugal, en Italie, en Turquie et en Perse. Dans la version ibérique il s’agit d’une maure, parfois en Italie d’une sarrasine, chez les Balkans d’une gitane (tzigane), enfin en Grèce et à Malte de leurs voisines turques. Maures et Gitanes sont affublées du quolibet de sorcières. 
Bien évidemment, il s’agit là d’une formule dualiste aussi ancienne que la figure de diablesse dont Pandore incarne l’une des premières manifestations provenant d’un auteur masculin. Loin de nous servir une interprétation féministe irrévérencieuse, l’auteure nous livre un authentique conte dépeignant une réalité sociale enfreignant les limites de la morale traditionnelle attribuée. ‘La révolte derrière ses actions est dynamisée par une rage irrépressible concentrée en une personnalité injustement opprimée.’ Son opposition à sa condition d’esclave s’exprime à travers la destruction de ses maigres effets et des métamorphoses de sa concurrente représentative de la reproduction du système d’oppression.
Le ravissement fait place à la disgrâce, l’amour à la mélancolie et à la frustration. Dans la version de la fille maure, le promis va jusqu’à tenter d’éclaircir sa peau. Certains motifs sont aussi exploités par antonymie : le rosier défigurant ou la colombe dont la défécation gâche le repas reflètent une dimension domestique non négligeable. 

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